Les élections municipales sont un rendez-vous incontournable de la vie politique française.
Dans ce pays aux 34 953 communes, le processus électoral permet de donner la parole aux administrés, lesquels sont appelés à choisir l’équipe chargée de la gestion de la municipalité durant les six prochaines années.
Le juge administratif est compétent pour contrôler la régularité des opérations et veiller à la sincérité du scrutin. Le contentieux électoral est guidé par des règles de procédure spécifiques, enserrées dans de brefs délais afin d’éviter une incertitude trop longue pesant sur les résultats de l’élection et in fine sur la gestion des services publics locaux. Aux termes des article R. 119 et R. 120 du Code électoral :
Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal ou être déposées dans les cinq jours qui suivent le jour de l'élection, au secrétariat de la mairie, à la sous-préfecture, à la préfecture ou directement près le tribunal administratif compétent ;
Dans tous les cas, les protestations sont transmises dans les trois jours de leur enregistrement à l’ensemble des conseillers dont l'élection est contestée, lesquels disposent de cinq jours pour transmettre au tribunal administratif leur défense ;
Enfin, la décision du tribunal administratif doit être rendue dans un délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe.
Si l'Etat d'urgence sanitaire avait amené le pouvoir Exécutif à adapter les délais en la matière (article 15 de l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020), aucune prorogation ne sera vraisemblablement prévue pour le second tour. Il y a donc lieu d’être particulièrement vigilant, à peine d’irrecevabilité des écritures, ce d’autant que les circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie augmentent les potentialités contentieuses.
Il est évident que les annonces du Président de la République et de son Premier Ministre, les 12 et 14 mars 2020 (fermeture des établissements scolaires, des restaurants, des commerces non-essentiels etc.) ont pu saper la volonté de se déplacer de certains électeurs, pourtant familiers des urnes, les privant ainsi leur prise de parole démocratique.
Le juge administratif, dans le cadre d’une protestation électorale relative aux résultats du premier tour a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur la conformité à la Constitution de l’article 19 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020, lequel permet la déconnexion entre les deux tours de l'élection municipale et valide les résultats du premier tour, malgré les circonstances inédites de son déroulement.
Une déclaration d’inconstitutionnalité de cet article conduirait à remettre en cause toute l’opération électorale et, par voie de conséquence, l’installation de l’ensemble des conseillers municipaux élus dès le 15 mars 2020.
En tout état de cause, une déclaration de conformité à la Constitution des dispositions électorales de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 n’entraînerait pas pour autant une baisse significative des risques contentieux pesant sur le second tour des élections municipales.
En effet, la prolongation de l’entre-deux tour durant trois mois pose nécessairement question quant au principe de sincérité du scrutin, le mécanisme de « campagne officielle » permettant normalement une déconnexion entre la gestion communale et la propagande électorale. L’utilisation des moyens de la commune à des fins électoralistes est, par exemple, prohibée durant cette période.
Or, si l’article 19 de la loi n°2020-290 fait débuter la campagne du second tour le 15 juin 2020, les mesures mises en œuvre durant la crise sanitaire par les équipes municipales en exercice avant le premier tour ont pu permettre de reconnecter propagande électorale et gestion communale.
Un maire en ballottage défavorable ayant largement communiqué, en sa qualité de candidat, sur les actions menées durant le confinement (dons de masques, mise à disposition gracieuse d’un service d’aides à domicile pour les personnes isolées, soutien aux entreprises locales etc.) verrait-il son élection remise en cause par le juge administratif en cas de contestation ?
Ce dernier opère un contrôle in concreto des protestations électorales portées devant lui, eu égard au faible écart de voix entre les candidats et aux actions présentées comme étant de nature à altérer la sincérité du scrutin et à en vicier les résultats.
Au demeurant, le décret n°2020-643 du 27 mai 2020 relatif au report du second tour est particulièrement laconique sur les conditions de la propagande électorale.
Nul doute que cet entre-deux tours qui s’est éternisé amènera son lot de réclamations portées par des candidats malheureux devant le juge administratif. La parole démocratique pourrait alors être rendue aux citoyens…
Camille BRIATTE et François WILINSKI
Avocats au barreau de LILLE
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